Mes lectures du mois : Avril 99

Voici un avis (qui n'engage que moi ...) sur les dernières BDs que j'ai lu. Tous ces albums ne sont pas issus des Editions Delcourt et tous ne sont pas des nouveautés mais j'aime bien partir à la découverte d'auteurs qui me sont inconnus (sur les conseils de mes libraires favoris ou ... des vôtres).


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Candélabres T1 : Solédango (Algésiras/Thomas(couleur) - Delcourt 1999)
Décidément, les scénaristes Delcourt sont fortement inspirés par des histoires d'anges, de fantômes et autre spectres en ce moment... Grâce à l'intervention quasi divine de Solédango, Paul, le héros de l'histoire va passer d'un statut de paralytique à celui de danseur étoile ! Mais tout à un prix ... Cet album est une véritable réussite. Le scénario d'Algésiras, magnifiquement construit, oscille sans cesse entre le fantastique et le réel. Un superbe album !!!

Les Cité obscures L'ombre d'un homme (Schuiten/Peeters - Casterman 1999)
J'ai découvert le cycle de "Cités Obscures" avec les Murailles de Samaris à un époque ou je lisais encore "Les Petits Hommes" ou "Yoko Tsuno". Alors pour l'Ombre d'un homme, le choc est évidement bien moins violent ! Pourtant la magie subsiste. Cet album délaisse un peu le centre du cycle : "les cités" pour décrire l'itinéraire d'un homme d'abord rejeté par sa différence (son ombre ... en couleur) puis qui saura en tirer parti. Un album plus porté vers l'aspect psychologique des personnages que par l'aspect descriptif. Malgré la fin peut-être trop rapide (succincte), un album rare et magnifique.

Ibicus (Rabate - Vents d'Ouest 1998)
Adaptation d'un roman d'Alexis Tolstoï (non pas Léon !), Ibicus retrace les combines, les lâchetés et les déboire d'un petit comptable plongé en pleine révolution Russe en 1917. Cet album en noir et blanc au graphisme très particulier (lavis) est parfois assez éprouvant à lire mais il reste passionnant de la première à la dernière des 130 pages. 2 ou 3 albums devraient suivre. Cet album à été nominé (meilleur album) à Angoulême (et il méritait largement l'Alph-Art).

L'art Invisible (Scott McCloud - Vertige Graphic 1999)
Une bande dessinée sur la Bande Dessinée !!!
Un sacré révélation en tout cas. Le sous titre "Comprendre la bande dessinée" indique bien les desseins de l'auteur. Ce but est atteint. Eh oui, la bande dessinée est un ART (le 9ème, certes) et un art à part entière. Ce livre très didactique et toujours passionnant analyse finement la bande dessinée et vous en livre de nombreux secrets. Tous ? non. L'utilisation des bulles, la technique des couleurs, ... ne sont abordés qu'en surface. Mais l'essentiel y est.
Si, pour vous qui n'avez pas fait les beaux arts et pour qui la BD n'était qu'un simple divertissement, alors ce livre vous est destiné et il vous enchantera.

FOX T6 : Jours Corbeaux, T7 : Los alamos, trinity (Dufaux/Charles - Glénat 1997/1998)
Autant je n'avais pas du tout été convaincu par le tome 5, autant ces deux derniers tomes sont passionnants ! Il peuvent d'ailleurs être lus sans connaître les 5 tomes précédents. Dufaux change de registre et passe du fantastique teinté d'ésotérisme à un thriller politique qui se déroule aux Etats-Unis en plein Maccarthysme. L'histoire est très dense et les clins d'oeil nombreux ("La mort aux trousses", ...). Les graphismes de Charles ont énormément évolués depuis les premiers albums.
Une série à redécouvrir ...

Berceuse assassine T2 : Les jambes de Martha (Tome/Mayer - Dargaud 1999)
J'attendais cet album avec impatience et le moins que je puisse dire, c'est que je n'ai pas été déçu ! Le deuxième album de la série (qui en comptera trois) décrit les mêmes événements que le tome 1, mais du point de vue de Martha. Et si ceux-ci sont donc connus par le lecteur, les surprises ne manquent pas. Le scénario de tome, très intelligent, très cru (on est bien loin de Soda) mélange finement les tranches de vies des deux héros (vraiment antipathiques). Le graphisme de Mayer est à la hauteur. Et la dernière planche ... argh ... dire qu'il va falloir attendre encore un an pour la suite ...

Quelques jours d'été (Chabouté - Editions Paquet 1998)
Lu entre Blackhole et Berceuse Assassine ... le contraste est saisissant. Mon deuxième albums des éditions Paquets. Encore une bonne surprise.
Attention, cet album de 30 planches se lit en 10 minutes maximum. Mais quelle émotion. Une histoire courte toute simple, presque sans dialogues en noir et blanc : Quelques jours d'un enfant hébergé bien malgré lui chez un couple de vieux paysans et qui va de découvertes en découvertes, et va trouver chez ces gens simples un peu de tendresse qui lui manque tant...

Blackhole T1 : Sciences Naturelles, T2 : Métamorphoses (Charles Burns - Delcourt 1998/1999)
Eh oui, je n'avais pas encore lu Blackhole ... Voilà c'est fait !!!
Un choc terrible. J'ai la tête pleine d'images noires, noires, noires. Cette description d'une épidémie qui touche les adolescents d'une petite ville américaine dans les années 50 (maladie sexuellement transmissible...) et qui les transforme en monstres est terriblement cauchemardesque et presque malsaine. Mais tellement prenante. En tout cas j'ai ressenti un grand malaise en dévorant les deux tomes (il faut les lire à la suite, la lecture du tome 2 permet de comprendre quelques passages obscures du tome 1). Un reproche malgré tout, l'histoire avance un peu trop lentement.
Remarquable !!!

Koblenz (Thierry Robin - Delcourt 1999)
Tout d'abord, la couverture : magnifique (la couleur bleue, le lettrage du titre, les vielles photos d'usine avec le personnage principal en surimpression qui semble dominer cet univers industriel). Et puis le scénario (rétro-ficion) est assez original (introduction du fantastique dans un monde industriels type début du 20ème siècle très réaliste). Mais l'histoire n'est pas très consistante et la mise en page et surtout les graphismes (superbes) n'ont guère évolués depuis Rouge de Chine (Clara ressemble à s'y méprendre à Liù).

Pourquoi Pete Duel s'est-il suicidé? (Kalesniko - Editions Paquet - 1999)
Les éditions Paquet sont une toute jeune maison d'éditions. "Pourquoi ..." est un de leur premier titre. Ce petit album en noir et blanc au style graphique assez proche de Bone, raconte les mésaventures du petit Alex dont les "différences" sont exploitées par ses méchants camarades. A la fois drôle et cruel, cet album constitue une véritable réussite.

Charly Les yeux du feux (Magda/Lapierre Dupuis - 1999)
J'aime bien cette série. Elle détonne parmi les miévreries de Dupuis (mis à part la collection Aire Libre). Cet épisode, très sombre marque une évolution importante du héros. Charly a grandi et il va découvrir qu'il n'est pas seul au monde ...

Thorgal Arachnéa (Rosinski/Van Hamme Le Lombard - 1999)
Sans doute pas le meilleur Thorgal, ni le plus mauvais d'ailleurs, .... Une intrigue très (trop) classique. Rosinski et Van Hamme ont beaucoup de mal à trouver un nouveau souffle. C'est en tout cas le dernier de la série pour moi.

Jimena (Binsfeld/Planque Dupuis Aire Libre - 1992)
Ce titre a été supprimé de la collection Aire Libre début 99. Fait unique, il est même distribué gratuitement par les libraires qui participent à l'opération promotionnelle concernant cette collection (deux albums anciens pour le prix d'un) C'est dire à tel point l'éditeur souhaitait s'en débarrasser !!! (pourquoi ne pas l'avoir pilonné ?). Je n'avais jamais voulu l'acheter (sur les conseils de mes libraires) mais là, je l'ai pris et je l'ai lu.
Finalement cette BD présente quelques originalités : pas de bulles, planches crayonnées de Binsfield, style narratif particulier ... Je m'attendais tout de même à bien pire. La descente aux enfers (ou la pertes des illusions de Jimena) n'est pas vraiment passionnante. Bof...

Thérèse (Stassen - Dupuis Aire Libre - 1999)
Air Libre est LA collection de Dupuis. L'éditeur généralise pour les albums de cette collection la présence d'un dossier souvent intéressant et qui permet de donner une autre vision à la lecture de la BD. Mais ici, pour Thérèse, il ne faut absolument pas le lire avant !!!
Stassen, toujours avec son style graphique "naïf" si particulier, introduit une touche de fantastique assez surprenante (bien facile pour palier à un manque d'inspiration ???). On retrouve dans cet albums les thèmes chers à Stassen comme "le mal de vivre", l'immigration, l'Afrique. Et même si on ne retrouve pas la magie du "Bar du vieux Français", cette oeuvre assez personnelle possède beaucoup de charme. Et puis la conclusion peu conventionnelle (et pas très morale) est superbe.

Lagune L'abbaye des dunes (Duvivier/De Pierpont - Delcourt - 1990)
Un des premiers titre de la collection Conquistador, un des premiers à disparaître ... Assez méfiant tout d'abord, je l'ai parcouru rapidement puis je l'ai lu plus attentivement. Ce qui devait être une longue série s'est transformé (par manque de succès) en un One Shot. Dommage car même si les personnages manquent de consistance, si le scénario est plutôt léger, le "climat" (sic) est superbement rendu. Un album qui aurait mérité une confirmation. Tant pis ...

Les Révoltés T2 (Dufaux/Malès - Glénat - 1998)
Malgré quelques invraisemblances (chronologiques entre autres), ce drame psychologique qui décrit l'ascension d'un jeune auteur au sein de la "haute" société américaine des années 30-50 est très prenant. Mais j'ai vraiment du mal avec les dessins de Marc Malès.

Léon la Came (De Crecy/Chomet - Casterman - 1995)
Bon, j'ai mis deux ans pour l'acheter, et presque deux ans pour le lire ... Que dire du graphisme ???. Les personnages sont hideux (mais c'est le graphisme De Crecy), sauf mademoiselle Suzy (quoique ... je ne vais pas dévoiler la fin), les couleurs insoutenables (les bruns, ocres et bleus ...) Disons qu'ils sont d'un abord difficile ...
Et pourtant ... après quelques moments de découragement, on se laisse prendre dans un histoire qui devient de plus en plus passionnante au fil des pages (près de 160 tout de même) on en arrive même à prendre en sympathie Géraldo-Georges et éclater de rire devant chaque nouvelle facétie de pépé ... et je l'ai finalement lu d'une seule traite... Et puis, la fin, est somptueuse ...
Concernant le dessin de De Crecy que de nombreux professionnels de la BD trouvent révolutionnaire, voici l'avis assez pointu de Serge Berthier (Président d'une association de promotion de la bande dessinée : "La Voix Au Chapitre")(mail du 16/04/99).
Plutôt que révolutionnaire, il faudrait parler de novateur. Qu'on aime, ou qu'on aime pas De Crecy, il faut reconnaître que son style est neuf, et surtout qu'il fait école !
Un dessin de De Crecy se reconnaît au premier coup d'oeil. Il a une patte terriblement caractéristique, et une palette de couleur extrêmement identifiable. Son style commence déjà à être copié... Quand on regarde une planche de De Crecy, il est très difficile de déterminer des influences... Il y en a sûrement, mais elles sont tellement bien assimilées que le style est inédit. Le dessin est à la fois brut, spontané, presque "sale" et pourtant très travaillé. Il a un graphisme très proche de la peinture, et c'est sûrement dans ce domaine qu'il faut chercher les influences. Par ce trait un peu "brouillon" il communique une vie bouillonnante à ses créatures de papier. Son univers surréaliste lui permet d'avoir un certain recul sur le réel. Le gros, le laid, le difforme deviennent quasi esthétiques, parce que vivants, grouillants. Les rouges et les bleus de De Crecy sont d'une chaleur incroyable. Ce sont des couleurs rarement utilisées qui contribuent à ce phénomène d'hyperréalisme (au sens littéraire du terme). Son dessin, ses histoires, attirent un public autre que celui de la bd traditionnelle, et c'est un signe qui ne trompe pas. De Crecy sort du lot, c'est évident... Mais pas toujours facile à expliquer. Dans quelques années sûrement, avec du recul...
Si tu as vu la veille dame et les pigeons, le dessin animé qu'il a fait avec Chomet, la qualité graphique de ses décors saute encore plus aux yeux. C'est un dessinateur d'atmosphère, capable de faire "transpirer" l'image, de nous faire paraître beau ce qui est laid et vieux.
Il a fait un portrait de Raymond Barre absolument hallucinant: en costard, costaud, l'oeil vitreux, le visage suffisant... le portrait d'une vieille du XVIe arrondissement sur une chaise au milieu d'une pièce, à la manière de Van Gogh. Il y a presque un art du caricaturiste chez lui. son style évolue sans cesse. Il expérimente des palettes, il change sa manière de découper ses planches, tout en restant fidèle à la ligne "tremblée" qu'il s'est défini. Pour un dessinateur, réputé "difficile", ses oeuvres se lisent très facilement, le dessin ne constitue pas un obstacle à la lecture (ce qui veut dire qu'il est lisible). Les décors, les situations, les personnages sont rapidement identifiables. La représentation graphique de ses personnages contribue largement à leur épaisseur psychologique. Très vite, on identifie le caractère de Gégé, de son père, de Léon, ou du publicitaire: leur schéma est inscrit dans leur représentation graphique.
La notion de l'espace est retranscrite par la palette de couleurs: celle-ci se charge lorsque l'atmosphère devient étouffante, elle s'aquarellise lorsque tout semble se diluer dans le temps, et que les personnages semblent se perdre...
Le graphisme n'est pas tout... il vaudrait mieux parler d'un univers De Crecy. Il est évident que son univers est un prisme déformant de notre société, ce qui lui permet de traiter quasi n'importe quel sujet. Du conte pour enfant, à la parodie du genre super-héros (A découvrir: les aventures de Super Monsieur Fruit alias Clarke Quinte, contre-publicité vivante pour Weight Watchers ! - Éditions du Seuil - 2 vol.), en passant par la critique sociale, ou l'onirisme pur.
Si De Crecy est novateur, c'est peut-être parce qu'il ne ressemble à rien de déjà connu tout en suscitant la fascination, comme en son temps McCay, Hergé, Moebius, Tardi, et autres grands maîtres de la Bd. C'est cela qui en fait des grands maîtres... à mon humble avis ! (j'aurais pu citer Calvo, Eisner, Pellos, Masse, Aristophane, Jacobs, Gibbons, Forton, Forest et quelques autres, mais bon faire des listes de nom sans expliquer ce qu'ils représentent pour moi, c'est frustrant, non ? hahaha!)

L'esprit de Warren T3 : L'enfant au fond du jardin (Brunschwig/Servain - Delcourt - 1998)
Brunschwig continue de nous éclairer sur la vie (ici son enfance) de Warren Wednesday. La fin approche, le suspense devient insoutenable !!! La narration de l'histoire est magnifiquement construite et malgré l'imbrication du passé et du présent on est jamais perdu. Petite déception pour les dessins de Servain que j'ai trouvé moins bon que lors des deux premiers tomes. Mais ça n'enlève rien à l'extraordinaire qualité de cette série (je pense mettre le tome 1 dans mon top ten).