Le Vieux Ferrand : critique de Thierry Bellefroid [chroniqueur sur BD Paradisio]


Christophe Gibelin retrouve Sang-Froid où il scénarise déjà l'excellente série « Les ailes de plomb » (avec Barral, deux volumes parus). Et on ne peut que s'en réjouir. Car ce « Vieux Ferrand » a quelque chose de typiquement français qui fait immédiatement penser aux « Ailes de plomb ». Cette impression d'être dans un film où pourrait jouer Gabin, ces paysages et ces gens qu'affectionnait le cinéma français des années 70-80, on retrouve tout cela dans les deux séries, mais plus encore dans celle-ci.
La force de Gibelin, c'est de nous camper des personnages crédibles, intéressants, voire captivants et de leur mettre en bouche des dialogues taillés sur mesure. Une femme seule et sa fille s'installent dans un bled perdu de la région de Toulouse, Choucas. Un hameau fantôme, largement déserté par la majorité de ses anciens habitants. Le mari est au Venezuela, il travaille sur une plate-forme de forage. Les voisins sont méfiants et taiseux. Jusqu'au jour où Myriam Lopez verse dans un étang avec son 4X4. Rencontre avec le Vieux Ferrand, Fernand. Et l'histoire bascule. Fernand est un chef de famille tyrannique et violent. C'est aussi un homme dont la vieillesse n'a pas éteint la libido, bien au contraire. L'apparition de cette belle bourgeoise va le rendre fou de désir et jaloux à mourir de tous ceux -y compris ses fils- qui ont le malheur d'approcher Myriam Lopez. La chronique villageoise peut virer au drame. La machine est bien huilée, tout se passe comme si une fois le doigt mis dans l'engrenage, il n'y avait plus qu'à suivre le cours des événements. Gibelin est très fort à ce jeu-là et tire les ficelles avec habileté, se servant de la petite fille et d'un nouveau voisin plutôt beau gosse pour amener des ingrédients dans ce pot-au-feu régional. Personnage central, le vieux Ferrand est troublant de vérité. Le dessin d'Aris, jeune dessinateur toulousain qui réalise ici sa toute première BD, ajoute ce qu'il faut de réalisme à l'histoire. Son Fernand Ferrand est parfait, avec sa figure pleine de rides et son crâne chauve ceint d'une couronne de longs cheveux blancs. Peut-être lui trouverez-vous comme moi un petit air de ressemblance avec un certain Singfold (Jessica Blandy) de même que le jeune Philippe Sillon ressemble un peu au Sambre d'Yslaire. Mais hormis ces ressemblances (il y en a d'autres, sans doute toutes inconscientes dans le chef du dessinateur), Aris livre un très beau premier album, très à l'aise dans les décors et le découpage, perfectible dans les personnages. Et bien sûr, magnifiquement servi par les couleurs de Gibelin dont c'est la spécialité. La série se déclinera en trois albums. Du vrai bon polar français.