Station Debout : critique de Thierry Bellefroid [chroniqueur sur BD Paradisio]


L'air de rien, Chauvel se taille une place enviable au sein de l'écurie Delcourt. Ses séries se multiplient, avec des dessinateurs souvent peu connus (voire inconnus). Certaines rencontrent un succès d'estime, d'autres remportent carrément l'adhésion de la critique, comme le très bon "Arthur" ou encore "Trois allumettes", un récit de la collection "Encrages " nominé dans la catégorie "meilleur scénario" aux Alph'Arts d'Angoulême. "Station debout", one-shot de série noire américaine pur jus, devrait être à mi-chemin. Ni best-seller en puissance. Ni album faible. Un bon polar, réalisé avec une maîtrise presque académique. Trop académique, sans doute, pour être vraiment parfait.

Tout d'abord, une première source d'étonnement : "Station debout" est le premier album de la collection "Sang-Froid" en noir et blanc. Cette collection de polar grand format se distinguait justement jusqu'ici de la collection « Encrages » par le fait qu'elle proposait des one-shot en couleur. Elle avait même fait sortir de leurs habitudes des auteurs catalogués "black & white", comme Davodeau ou Moynot. Thomas Ehretsmann change la donne et on ne peut pas lui donner tort. Son dessin colle parfaitement à l'ambiance du récit qui est particulièrement noir. Les couleurs n'y auraient rien apporté. Au contraire, elles auraient peut-être fait perdre une part de sa spécificité à l'album. Le dessin qui oppose des zones très claires à d'autres largement noircies d'aplats fait la part belle aux ombres, celles -bien réelles- des corps et celles -figurées- des esprits. Les combats de chiens, qui sont le départ de l'intrigue, ont le bon goût d'être suggérés plutôt que complaisamment montrés. Les personnages sont parfois un peu bancals, mais l'un dans l'autre, la réalisation graphique de ce "Station debout" est agréable, cohérente.

Quant au scénario, il applique à la lettre les recettes du genre. C'est à la fois très énervant et très réussi. A chaque moment décisif, Chauvel pratique l'esquive, s'en va dresser le portrait d'un protagoniste ou jouer la carte du flash-back pour faire monter le suspense. Ca fonctionne, évidemment, mais le recours systématique à la formule magique est tout de même un peu lourd. En revanche, j'ai été surpris par la fin de l'histoire, à laquelle je ne m'attendais pas, ce qui est un bon point. La vie apparemment inutile et ratée de Lesley/Vicente est un bel exemple de portrait de looser, même s'il devait y avoir moyen de faire mieux. La première et la dernière page, laissant entrevoir une vision fantasmagorique (et sans doute psychotique) "à la David B" paraissent un peu gratuites, en tout cas sous-exploitées dans le récit lui-même où l'on ne retrouve ces visions que de manière détournée. Sans ça, "Station debout" est un bon album qui sonne comme du Chauvel, la longueur en moins (on est loin des trois volumes de Nuit Noire ou des cinq tomes des Enragés qui explorent des thèmes semblables).