ToileCirée : critique par Simon Brasier, BDScope N°12
Lorsque un créateur de bandes d'annonces pour Arte et de génériques de dessins animés et le jeune conservateur du Musé de l'impression sur étoffe de Mulhouse se télescopent, cela produit une impeccable loufoquerie tirée au cordeau.
Après le Suisse Alex Baladi et son merveilleux Goudron plumé, Delcourt nous régale dans sa collection Encrages d'un tandem dont les perspectives d'avenir dament le pion au déjà-vu lu. Jouvray met en scène à coups de traits griffus et aigus, le petit monde de la capitale française de la nappe. JPB, attachant chroniqueur des arts ménagers (et parisien), y effectue un reportage auprès du roi de la nappe cirée. Rapidement, la deuxième vocation de JPB, celle d'écrivain d'investigation, va se mettre quelque chose sous la dent. Le meurtre d'un chimiste le mène vers un étrange trafic d'oyonnaxite, une matière visqueuse qui dissocie les éléments et empêche le mélange des fluides... Il enquête serré avec deux jeunes ouvriers bourrés de joyeuse insolence, puis est bientôt rejoint par madame Rosine et enfin, l'intrigant colonel Pacôme.
Le scénario, entre Hitchkock et Tati (les carreaux des magasins autant que les films de Jacques) laisse la place entre des scènes étirées comme s'il s'agissait d'un dessin animé (les séquences faussement décisives et donc très drôles du meurtre ou de l'entretien), à des pointes d'accélération pour l'action violente et à un goût certain pour des dialogues pleins de trouvailles. L'action, telle la toile cirée en damiers, alterne les noirs de la cruauté et les blancs de la poésie naïve. Grâce à Jouvray et Roland, les carreaux des toiles cirées sont aussi subtils désormais que les motifs des tapis persans de Joyce. A quand une réhabilitation de la nappe vichy et de celle à rayure ?