Pourquoi je déteste Saturne : critique de Thierry Bellefroid [chroniqueur sur BD Paradisio]
Les choix de Guy Delcourt en matière d'adaptations françaises sont décidément guidés par une excellente intuition. Après des BD cultes comme « V pour Vendetta », « Batman Dark Knight », « Watchmen » ou encore « Cages » (pour n'en citer que quelques-unes), voici une perle absolument incontournable pour tous ceux qui veulent en savoir plus sur la BD made in US.Kyle Baker y raconte l'histoire d'Anne, alcoolique new yorkaise à la plume acérée qui sévit dans les pages d'un journal branché en attendant un hypothétique premier roman. Anne est névrosée, peu sûre d'elle, paresseuse et incapable de garder un mec plus d'une nuit. Le seul qui aurait une chance, peut-être, ce serait Ricky, son meilleur pote, aussi désillusionné qu'elle sur l'amour. Mais ils s'aiment trop pour coucher ensemble. Tout cela pourrait n'être qu'une chronique douce-amère sur la vie à New York, avec un côté Paul Auster ou Brett Easton Ellis en BD. Mais Kyle Baker introduit très vite dans l'histoire un élément catalyseur : la soeur d'Anne, Laura, débarque sans crier gare, une balle dans la couenne, traînant dans son sillage un amant éconduit très -mais alors très- insistant. Anne est barge, mais ce n'est rien comparé à sa soeur. Laura est tout simplement persuadée d'être fraîchement débarquée de Saturne et se balade, déguisée en Reine des Astro-Filles en Cuir de Saturne. Non-violente, végétarienne jusqu'aux ongles, Laura transforme la vie de sa soeur en enfer et son frigo en succursale de magasin diététique.
Les dialogues sont extraordinaires de dérision, de cruauté parfois. Le ton profondément désabusé de cette BD ressort d'autant plus fort que les textes sont séparés des images. On pourrait croire qu'il ne s'agit d'ailleurs pas de BD, puisqu'il n'y a aucun phylactère. Mais à y regarder de plus près, l'image est bel et bien signifiante, elle participe à la compréhension et à la narration du récit. C'est donc bien de la bande dessinée, mais d'un genre peu pratiqué, plutôt désuet puisqu'il en rappelle les tout débuts, lorsque les personnages s'exprimaient sous les cases et non à l'intérieur. Que ceux que ce procédé rebute sachent qu'ils vont rater un pur moment de bonheur. « Pourquoi je déteste Saturne » est un monument de cynisme, mais aussi une leçon de vie pour Anne, qui ne sort pas indemne de l'histoire, et remet en cause la plupart des axiomes qu'elle croyait immuables. Si vous aimez les réparties cinglantes et les situations « à l'américaine », vous ne serez pas déçu(e) !