From Hell : critique de Thierry Bellefroid [chroniqueur sur BD Paradisio]


570 pages ! 570 pages inoubliables. Quand vous refermerez cet album, sachez qu'il vous poursuivra pendant plusieurs jours. Sachez que tout ce que vous lirez ensuite vous semblera fade et superficiel. Alan Moore n'est pas seulement un tout grand scénariste et le maître anglais du genre. Il prouve ici qu'il est aussi un véritable écrivain, au sens noble du terme. Car « From Hell » est plus qu'une BD. Ou plutôt, est une sorte de méga-BD. Pas tant par la taille que par la profondeur de son propos, la qualité de son approche. Plonger dans cette autopsie, c'est oublier tout ce qu'on croit savoir de l'Angleterre victorienne et du mythe de Jack L'Eventreur, si affadi par des générations de navets cinématographiques. Basé sur la plus solide documentation qui soit (42 pages d'annotations expliquent les sources de chacune des scènes retenues dans l'album !), From Hell est une démonstration d'intelligence et de maîtrise du scénario. Moore démontre comment une tentative de chantage finalement presque mineure va permettre par représailles à l'un des personnages les plus influents de la Haute Société de perpétrer des crimes rituels démoniaques. Alan Moore a choisi de ne pas privilégier l'enquête. Au contraire, il remonte loin en amont et reconstitue les faits de manière « clinique », nous permettant d'entrer dans le cheminement intellectuel du tueur, d'assister à la naissance de son mythe façonné en grande partie par la presse, de comprendre comment l'énigme a pu demeurer non-élucidée. C'est tout simplement captivant. Difficile d'en dire davantage, car trois jours après la lecture de cette intégrale, les mots me manquent encore pour en parler. Ne vous laissez pas rebuter par l'épaisseur de ce livre ni par le traitement sombre et sans artifice d'Eddie Campbell. Une fois passé le temps d'adaptation que nécessite la mise en place de nombreux personnages pas toujours faciles à reconnaître, vous ne pourrez refermer cet album qu'après en avoir lu la dernière ligne. Autant dire qu'il vous faut une demi- journée devant vous, au moins, pour oser l'ouvrir...