Koblenz : critique de Thierry Bellefroid [chroniqueur sur BD Paradisio]
Ceux qui ne connaissent de Thierry Robin que les quatre volumes magnifiques de
« Rouge de Chine » (Delcourt) risquent d'être étonnés à la lecture de ce
« Koblenz ». Au moins, les lecteurs de « La Teigne » (collection Tohu-Bohu,
aux Humanos, un régal dans le genre de « La mouche » de Trondheim) ont-ils
déjà eu l'occasion de se rendre compte d'une chose : Robin peut surgir là
où on ne l'attend pas ! Et forcément, c'est le cas ici. Le dessin a
évolué, la mise en page aussi, -plus sobre, même si elle ne résiste pas à
l'éclatement et aux géométries variables. Pourtant, pas de doute, c'est du
Robin de chez Robin. On reconnaît quelques tics, notamment ces nez en bec
d'aigle et ces visages émaciés qui affublent la plupart des personnages.
Mais c'est surtout dans le scénario, la démarche et le climat que l'auteur
de « Rouge de Chine » surprend.
Soyons franc, toutes les clés de lecture ne sont pas livrées dans ce premier
album. Thierry Robin a volontairement conservé des zones d'ombre,
principalement en ce qui concerne la genèse et la personnalité de ses
personnages principaux. Mais il a eu l'intelligence de nous livrer
suffisamment d'éléments pour permettre la pleine compréhension de ce
premier album tout en suscitant interrogations et curiosité chez le lecteur.
Remplissons quelques blancs.
L'album laisse entendre que Koblenz voyage à travers le temps. On comprendra
plus tard qu'il a un coeur de métal depuis un terrible accident et qu'il doit
son savoir à un vieux maître du nom de Kodelà. On le retrouvera à
Carthage, aux côtés du tsar Pierre de Russie ou à Prague. Partout où le
mystère sera si épais que personne d'autre que lui ne pourra le percer.
Clara, son assistante médium, reste plus encore dans l'ombre au terme de ce
premier album. Koblenz l'a purement et simplement ressuscitée. Lorsqu'il l'a
rencontrée, Clara Lemke était en effet le cadavre d'une femme noyée.
Aujourd'hui, c'est la compagne de l'étrange savant.
Voilà pour les blancs à remplir. Mais « Le désespoir d'une ombre » n'est
pas que le premier album d'une série. C'est surtout un album entier, qui se
suffit à lui-même. Et rien que pour cela, Robin mérite le respect. Tant
d'auteurs nous jouent la carte de la mise en place des personnages et font
traîner leur intrigue pendant deux à trois albums (forcément, ça aide les
ventes. Quand les lecteurs veulent absolument savoir où on les emmène, ils
continuent d'acheter) !
Parlons un peu du climat dans lequel baignent les aventures de Koblenz.
Première surprise, Robin le voyageur, qui se servait de ses pérégrinations
pour alimenter ses scénarios, nous emmène cette fois dans une ville-usine
imaginaire, propriété d'un certain Emil Friederich Wegener. On retrouve la
passion des métaux en fusion qui agrémentait déjà les pages des « dragons
» de Rouge de Chine. Mais autour, il y a ce décor sombre et industriel très
réussi, tout à fait inattendu. Puis, il y a l'intrigue. Fantastique, avec
cette pointe de drame social et psychologique. Robin le funambule, se trouve
à cheval (c'est le cas de le dire, vous verrez quand vous aurez lu l'album)
entre Zola, Edgar Poe et Stephen King. Enfin, il y a les personnages. Forts.
Mystérieux. Qui n'ont pas encore tout livré.
Vous l'avez compris, ce premier « Koblenz » est prometteur !